Le serpent hygiéniste

A MÉDITER..

Don Régis Maurel, prêtre, communauté Saint Martin en poste à Cuba:

« Réflexions qui m’habitent au terme de ces 4 mois en France…

Le serpent hygiéniste
De la Genèse à l’Apocalypse, nous voyons que le Malin ne cesse d’inventer de nouvelles ruses pour tenter de détourner les fidèles du Christ de leur Maître et Sauveur. Chaque époque a ainsi connu des pièges particuliers, tantôt clairement antichrétiens, tantôt masqués (!) sous de bonnes intentions. Il me semble que notre temps n’y échappe pas, à l’occasion de la crise sanitaire actuelle. Entendons-nous bien : je ne m’aventure pas sur le terrain sanitaire ou politique, mais bien sur celui qui me concerne comme pasteur, la foi des fidèles. Je le fais au terme de ces 4 mois passés en France, avec la grâce d’un œil extérieur, en restant cependant solidaire de mes frères prêtres. D’avance je leur demande pardon pour mes approximations ou ce qui pourrait être reçu comme un jugement.

Nous pouvons distinguer trois étapes du retentissement de cette crise sanitaire dans l’Église.

1. Le choc. Comme tout le monde, nous avons été estomaqués par la brutalité de l’arrivée de l’épidémie. Entre les annonces de morts par centaines de milliers et l’inconnu de ce virus asiatique, on peut comprendre que la sidération nous ait fait accepter l’impensable : suspendre le culte public. Cependant, assez rapidement, nous avons pu nous rendre compte que la réalité n’était pas aussi terrible qu’annoncée. En tant que prêtre, je m’interroge sur la facilité avec laquelle nous nous sommes laissé enfermer et avons, dans certains cas, littéralement abandonné les fidèles sans secours spirituels, spécialement les malades privés du viatique et de l’onction. Je sais bien que les administrations hospitalières se sont souvent montrées intransigeantes, mais, dans l’ensemble, nous l’avons accepté sans faire de vague, à l’opposé de nos frères d’Italie par exemple, morts par dizaines en visitant leurs ouailles malades. Pourquoi notre charité pastorale s’est-elle faite si peu inventive pour les brebis du troupeau en disette ?

2. Puis est venu le deuxième temps : la reprise du culte, avec la réponse que les pasteurs, évêques et prêtres, ont tenté d’apporter. Et là, nous avons vu se confirmer cette tendance : un zèle incroyable pour l’application des consignes sanitaires au dépend de la dignité de la célébration liturgique. Je passe sur la barbarie esthétique des signalisations et leur incohérence : rubalise pour condamner une chaise sur deux (y compris pour les membres d’une même famille), scotch de plombier au sol pour indiquer le sens de circulation de la procession de communion (les fidèles ayant, c’est bien connu, la fâcheuse tendance, après avoir communié, de remonter l’allée centrale en serrant la main et en toussant au nez des suivants), lignes indiquant le mètre sacré de distance à respecter (fini les chenilles joyeuses auxquelles nous étions accoutumés).
Beaucoup plus graves sont les questions directement liées à l’eucharistie. Je pense évidemment à l’obligation de la communion dans la main pour des motifs sanitaires discutables, contrevenant à la loi universelle de l’Église accordant à tout fidèle le droit de recevoir la communion sur la langue. Je ne citerai que le témoignage de cet enfant de 7 ans, récent premier communiant, un des rares servants de Messe de sa paroisse, à qui le curé a refusé la communion sans même le bénir. Jusqu’à cet évêque qui a tendu la coupelle d’hosties consacrées pour laisser les fidèles se servir eux-mêmes : faute liturgique doublée d’un non-sens sanitaire.

La liste serait encore longue et mon but n’est pas de raviver des divisions liturgiques. Plus profondément, ce qui m’a frappé dans tous ces aménagements liturgiques est que le critère dominant n’était plus la sacralité de la célébration et la préservation de la rencontre entre le Christ et le fidèle, mais l’adaptation à un nouveau critère dominant : la préservation de la santé physique. Tout était réaménagé en fonction de la survie du corps, laissant apparaître une nouvelle liturgie dont la précision rubriciste, quoique fort mouvante d’un clocher à l’autre, ferait pâlir de jalousie un cérémoniaire pontifical : ici ce sont des préservatifs à micro (réutilisables, ceux-là…), là on ne doit pas toucher l’ambon, ou bien ces sœurs en retraite (saintes femmes au demeurant) ne vous laissent pas distribuer la communion (à quoi bon masque et gel alors ?), sans oublier le kapo du nouvel ordre hygiéniste qui vient vous demander, durant la consécration, de relever votre masque qui a glissé sous votre nez ! Notons au passage la proportion inversée entre l’observance scrupuleuse de cette nouvelle liturgie hygiéniste et la fidélité à la liturgie romaine et ses rubriques.
Nous serions face à la peste noire, je ne dis pas… Mais il ne s’agit pas de cela ! Après 8 mois de Covid, nous savons à quoi nous en tenir : nous avons appris à nous laver les mains, à chausser nos masques et à éviter les embrassades ! Cela étant posé, place au Christ, place au mystère, place au salut des âmes !

3. Le troisième temps est donc venu, celui de l’examen de conscience. Pourquoi nos critères ont-ils été à ce point bousculés, jusque dans ce qui fait le cœur même notre mission de pasteurs : l’eucharistie et la charité pastorale ? Plusieurs réponses sont possibles : le vieillissement de nos communautés et donc une plus grande sensibilité au discours anxiogène ambiant, la diminution du zèle missionnaire face à l’accumulation de tâches administratives, créant une distance entre la vision du pasteur et les attentes des fidèles (besoin de l’Eucharistie et du sacré), une vie paroissiale pas assez centrée sur l’eucharistie parce que celle du prêtre ne l’est pas non plus (arrivée in extremis avant la Messe et départ illico sans action de grâce). Beaucoup d’autres raisons pourraient être invoquées. C’est pourquoi nous avons des comptes à rendre aux fidèles que le Christ nous a confiés : nous les avons privés du Corps du Christ, parfois même privés d’églises ouvertes, nous avons manqué à la sacralité de l’eucharistie au risque de choquer les plus faibles, nous avons cédé aux sirènes hygiénistes au lieu d’orienter les cœurs vers la vie éternelle, particulièrement ceux des anciens.

Alors que cette épidémie marque un tournant dans l’histoire des hommes et des relations au niveau mondial, l’Église, qui devrait être actrice de premier plan pour œuvrer à une humanisation toujours plus grande, se trouve affaiblie : perte non négligeable de fidèles qui ne sont pas revenus à la pratique dominicale (jusqu’à 30% dans certaines paroisses), divisions réveillées autour de la réception de la communion, perte de crédibilité de pasteurs plus occupés à donner des consignes sanitaires qu’à célébrer les mystères du Christ ou aller chercher la brebis perdue.

Ne nous trompons pas : il y a là une ruse du démon ! Il veut, sous prétexte d’hygiène sanitaire, chosifier et désacraliser la liturgie, le moment sacré où le ciel rencontre la terre, où le Sauveur étreint le pécheur. Le prêtre masqué ne montre plus le visage du Bon Pasteur, la laideur des aménagements covid défigure la beauté de l’espace liturgique, signe de la présence parmi nous du Christ ressuscité, le plus beau des enfants des hommes.

Chers frères prêtres, nous sommes pasteurs, nous avons la tâche de mener les brebis vers les verts pâturages du Bon Berger : c’est à nous qu’il revient, par la grâce de notre ordination, de poser une limite à cette quête de santé devenue folle. En redonnant la priorité au Christ, par l’obéissance aux règles liturgiques, par le primat de la beauté et de la sobriété et surtout par l’ardeur de notre vie eucharistique, nous permettrons au Christ de façonner les saints dont il a besoin aujourd’hui. Ne nous laissons pas voler la joie de la liturgie ! »

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